Si l'on ne connaît pas toujours bien son bonheur, on ne connaît pas non plus son malheur tant que l'on n'a pas ouvert les yeux, c'est-à-dire tant qu'il ne vous a pas été révélé. C'est cet événement qui est décrit dans le récit de l'Évangile de Luc, mettant en scène les deux sœurs, Marthe et Marie. L'interprétation séculaire voyait dans ces femmes des figures de l'action et de la contemplation. Elle servit de caution théologique et morale à la séparation des fonctions matérielles et spirituelles, placée sous l'onction d'une hiérarchie sacralisée. Autrement plus pertinente et féconde, apparaît la dualité en mouvement de l'aliénation et de l'émancipation. L'Évangile ne confronte pas des allégories statiques justifiant un ordre social à l'avenant, il met en scène le moment de basculement où une parole inattendue de Jésus lève la « condamnation » sociale qui pesait sur Marthe, autorisant la servante-née à aller contre son destin.